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18 août 2006 5 18 /08 /août /2006 21:01
Les vacances sont là et avec elles nous allons voir surgir des milliers, que dis-je, des milliards de clichés photographiques. Pour le plus grand nombre, l'acte photographique est essentiellement estival. Que ce soit à la plage, à la montagne ou dans la brousse, le vacancier photographie tout... et bien souvent n'importe
quoi ! Le développement du numérique n'est pas étranger à cette frénésie photographique.

"Le coût bon marché des appareils photographiques, l'extraordinaire facilité de la photographie, ont eu des résultats bien naturels. Aussi est-ce partout, dans les rues, dans les promenades publiques, dans les jardins privés, à la campagne ou sur les plages, un déchaînement de déclics de toute espèce, de tout calibre, et de tout prix, écrivait un certain Miguel Zamacois (1). Partout, c'est le bruit sec, bref, électrique du petit déclenchement. C'est la réponse du tac au tac. Le soleil dans le dos, la tête baissée, scrutant le viseur, ils vont, en quête de n'importe quoi... Ils ne prennent pas des vues, ils ne font pas des portraits, ils usent des plaques, ils écoulent des rouleaux de pellicule... Ça devient mécanique, machinal, nerveux... Tac !... C'est un petit bateau trop loin... Tac !... C'est un monument trop près... Tac !... Ça n'est qu'un bout de balustrade... Tac !... c'est le dos énorme d'un personnage indifférent... Ca ne fait rien ! Il y a Dieu pour les amateurs photographes, et ça serait vraiment de la malchance si, sur les deux cents épreuves exécutées pendant la saison, il ne s'en trouvait pas dix à peu près convenables, et une au moins pour faire crier à la petite merveille !..." Ce texte écrit en 1902 (!) est d'une étonnante actualité ! Mis à part le bruit du déclenchement (qui est aujourd'hui électronique) et la disparition des plaques et peut-être bientôt de la pellicule, la frénésie de l'époque s'apparente à l'actuelle surabondance de déclenchements numériques.

 Un acte gratuit

Les bras en l'air, éblouis par le soleil qui empêche de voir l'image dans l'écran de visée LCD, les vacanciers "shootent" à l'envi, parfois à l'aveugle et surtout sans compter. Comme à l'époque de la première boîte photographique Kodak (créée par George Eastman en 1888), aucune connaissance technique n'est exigée à la prise de vue avec les "APN" (initiales branchées pour Appareil Photo Numérique). Du "spécialiste photo" de la famille, à la ménagère de moins de 50 ans, en passant par la grand-mère et les enfants, parfois très petits, tout le monde peut réussir ses photographies. Tout est réglé automatiquement. «Du point de vue technique, personne ne peut plus rater une photo. C'est une des raisons de l'immense attrait de la photo auprès des masses», analysait Gisèle Freund (2) du temps de la photographie argentique. «La photographie fait désormais partie de la vie quotidienne.» Et c'est encore plus vrai avec l'essor fulgurant du numérique que l'on connaît actuellement. Difficile de trouver aujourd'hui, parmi les hordes de touristes, celui qui n'a pas son petit appareil numérique ou son "Photo Phone" (GSM équipé d'une fonction photo) en main ou plutôt à bout de bras. Sur une seule carte mémoire, le touriste peut enregistrer des centaines de photographies. «La pression sur le déclencheur d'un appareil électronique n'engage à rien. Le geste est pratiquement sans conséquence puisqu'il peut être, aussitôt ou après mûre réflexion, annulé. Il suffit pour cela, d'effacer le fichier dans la mémoire pour détruire toute trace de la prise de vue. Cela confère à l'acte photographique un caractère de gratuité, dans tous les sens du terme...» (3)  

Photographier à tout va !

Gratuitement, sans réfléchir, souvent sans vraiment trop bien viser, parfois sans être vu à l'insu des personnes photographiées, le touriste déclenche. Clic!... C'est l'exploit aquatique du petit dernier pris d'un peu trop loin. Clic!... Ce sont les ruines d'Éphèse mais impossible de les prendre sans touristes. Pas grave, on les enlèvera sur ordinateur grâce à Photoshop ! Clic !... C'est La Joconde derrière sa vitre de protection et tant pis si le flash, destructeur d'?uvre d'art, s'est déclenché automatiquement... Le photographe amateur n'a pas pris le mode d'emploi de sont APN avec lui et ne sait comment désactiver ce sacré flash. Clic !... Discrètement sans se faire voir, c'est l'image d'un moine bouddhiste qui est "volée" même si le guide touristique avait demandé de ne pas les photographier. Clic !... Ce pauvre mendiant indien fera un beau souvenir authentique. Clic !... Les femmes au long cou de Thaïlande sont prises sous toutes les coutures. Après tout, on leur a donné une petite pièce ! Clic !... Clic !... Clic !... Le touriste sait qu'il peut multiplier les clichés. Sous une simple pression sur le déclencheur, il fait la photo, sous une autre pression sur l'icône "poubelle" il peut l'effacer.  

Des images à partager

Enfin, grâce au numérique, le touriste peut aussi partager directement ses images avec la ou les personnes photographiées. C'est là une richesse à exploiter... «Le numérique permet de sortir de l'égoïsme de l'auteur, de faire circuler les images, de mieux les partager, considère Raymond Depardon (4). Quand je pense à ces palmeraies de montagne du Tibesti, au Tchad, où j'ai pris des photos que les gens n'ont jamais vues. Si j'y retournais, j'emmènerais un appareil numérique et une imprimante. Je jouerais au photographe ambulant de village, je pourrais laisser mes images et les partager tout de suite avec ceux que je prends en photo.»

 Françoise

(1) Miguel Zamacois, "L'âge de la photographie" dans le Bulletin du Photo-club de Paris, 1902.

(2) "Photographie et société", Gisèle Freund, Seuil, 1974.

(3) Michel Alberganti, "Impalpable image numérique", article paru dans Le Monde du 9 septembre 2004.

(4) Propos recueillis par Christophe Alix dans un article intitulé "Pourquoi ils sont fidèles à l'argentique ?" paru dans Libération du 23 février 2005.

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